ACTIVISME EXTENSIF


TITRE  ACTIVISME EXTENSIF
PREMIÈRE PUBLICATION  VOLUME #30 PRIVATIZE! - titre : Tribute to an active tribe
AUTEUR  Oscar Gential
DATE  Février 2012
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Cet article a été publié pour la première fois dans VOLUME #30, PRIVATIZE!, en février 2012, sous le titre : Tribute to an active tribe
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ACTIVISME EXTENSIF


Lauréat du concours d’urbanisme Métamorphose pour l’éco-quartier des Plaines-du-Loup[i], Tribu Architecture[ii] participe donc au renouveau de la fabrique urbaine lausannoise avec le projet ZIP. Néanmoins, leur participation à la vie publique se fait sous bien d’autres formes. C’est en infiltrant et en militant auprès des associations comme des architectes, des politiques comme des habitants que les membres de la tribu pratiquent leur activisme.
Laurent Guidetti, qui a commencé l’architecture avec l’idée qu’il n’en ferait pas, est co-fondateur, avec Alvaro Varela et Christophe Gnaegi, de Tribu Architecture à Lausanne. Il discute ici avec Oscar Gential de l’implication de Tribu et de ses collaborateurs dans les questions d’aménagement du territoire.

OG Dans quels rayons d’action et dans quels cercles vous inscrivez-vous aujourd’hui, employés et patrons ?
LG Nous sommes fortement impliqués dans les milieux politique et associatif. Politique en tant qu’élu et militants ; associatif au sein de différentes associations nationales et locales, liées à des questions d’aménagement du territoire, d’habitat, d’architecture, mais aussi d’enseignement. L’investissement est réparti de manière très inégale dans le bureau mais il n’y a pas de différences entre un patron et un employé. La différence de statut n’a pas vraiment de lien avec l’investissement politique et aossociatif.Nous avons noué des liens avec ces milieux à la sortie de nos études parce que nous y retrouvions des idées que nous revendiquions à l’époque, la communication entre public et professionnels, l’architecture comme discipline avant d’être un métier, l’aménagement du territoire avant l’architecture, etc. Nous nous rendions compte que les architectes étaient souvent absents de débats qui animaient certaines associations et partis politiques.

OG Pourriez-vous nous en dire plus sur les origines de vos liens avec ces milieux ?
LG Personnellement, j’ai commencé l’architecture avec l’idée que je m’intéresserai plutôt à l’aménagement du territoire. J’ai certainement été sensibilisé par mon père qui a été aménagiste pendant des années.
Pour nous tous chez tribu, cet intérêt pour l’aménagement du territoire vient, je pense, beaucoup du fait que nous avions besoin de sens à ce que nous faisions. A l’école, les cours d’aménagement du territoire n’étaient pas formidables, mais la discipline est fondamentale. Cela nous semblait important de toujours mettre la discipline architecturale dans celle de l’aménagement du territoire, et non l’inverse.
La conjoncture de l’époque a elle aussi joué un rôle important. En 1997, la majorité de ceux qui sortaient de l’école étaient au chômage. Cette situation nous a poussés à vouloir réinventer notre métier. Nous avons alors développé des prises de position, écrit des articles, initié la sensibilisation à l’environnement construit dans les classes. C’est également le début du politique et de l’associatif pour Tribu. Notamment, en 1998, j’ai présidé la commission aménagement du territoire du parti socialiste vaudois et je suis rentré au comité de l'association Droit de Cité. (Christophe Gnaegi a par la suite présidé cette association pendant deux ans).
Les positions et les débats au sein des associations et des partis politiques étaient nettement plus intéressants que ceux qui avaient lieu à l’école d’architecture, mais en tant qu’architectes nous avions aussi des choses à apporter.

OG À partir de quelles sources d’inspiration avez-vous basé vos prises de position ? Et à travers quels contextes avez-vous pu les mettre en pratique ?
LG Nous avons certainement été influencé au sein de l’école d’architecture par quelques enseignants suivis de près ou de loin comme Luigi Snozzi, Bernard Huet, mais surtout commes Martin Dominguez, Mauro Galantino, Christian Gilot certainement moins connus mais très impliqués dans leur enseignement et avec un vrai discours sur la ville. Nous avons aussi appris des enseignants avec lesquels nous étions en total désaccord… En fait, c’est le débat, qui nous a nourri et la confrontation qui nous a appris à nous affirmer. De mon côté, j’ai été très influencé par Marius Vionnet, architecte lausannois extraordinaire pour son discours sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire, et activiste acharné.
Par ailleurs, nous avons sans conteste été plus influencés par la lecture d’Ivan Illich, Leonardo Bénévolo, Adolf Loos ou Gustave-Nicolas Fischer (un psychosociologue de l’espace) que par les revues d’architecture…
Fraichement diplômés, nous avons écrit quelques articles reprenant notre positionnement et lancé notre activité de sensibilisation à l’environnement construit. Nous avons aussi eu l’occasion de participer en 2000 à une étude-test sur le centre de Renens où nous avons pu mettre en forme nos conceptions urbanistiques. Comme en 1998 déjà pour le concours Europan sur un site à Genève mais évidemment sans succès : pas assez de visuel, pas assez formel, trop de réflexion pour Europan…

OG On peut se demander comment ces initiatives et projets ressurgissent dans vos travaux et réalisations aujourd’hui. Vous avez développé dans votre projet ZIP, pour l’écoquartier des Plaines-du-Loup à Lausanne, un processus de participation. Quelle est la nature de cette démarche et comment l’avez-vous relié au dessin ?
LG Tout d’abord, il faut savoir que l’on a rien inventé pour le projet ZIP : là encore, nous avons dessiné ce que nous avons toujours revendiqué. C’est dans la pure lignée de notre travail. La participation citoyenne était une exigence du concours. Pour qu'elle ne soit pas alibi, nous avons intégré la participation en la reliant à ce qui est réellement important pour le projet et cherché à donner un réel bras de levier aux habitants. Comme le strict périmètre du concours n’est pour l’instant pas habité, il nous a semblé important d’intégrer les futurs habitants, ceci afin d’éviter que ce soient seulement les lobbyistes étrangers au quartier qui s’emparent des débats. Nous avons donc imaginé un processus qui permette de préciser petit à petits les engagements mutuels liant les futurs habitants et la Municipalité  Au début, les discussions engagent peu les deux parties. Puis, les sujets deviennent plus concrets : ma rue, ma cour, ma cage d’escalier, puis mon chez moi. Ainsi à chaque étape, on doit valider certains principes, ensuite d’autres, et ainsi de suite. Il y a une logique de planification dans le temps qui doit s’imposer à la logique de participation, la démarche risque de n’avoir aucun impact sur le projet. Pour nous, c’est fondamental. Le problème pour le politique est qu‘il doit alors s’engager vis-à-vis de la population, un peu plus que par de simples promesses.

OG Justement, comment avez-vous négocié avec ces promesses, et le politique plus généralement, dans votre projet ?
LG Nous avons proposé ce que l’on a appelé le Diagnostic Habitant. En réalité, si l’on considère le périmètre élargi de l’étude, le quartier est habité, et nous y tenons beaucoup. S’il y a une participation qui concerne les futurs habitants, il doit également y avoir une participation avec les habitants actuels. Ce Diagnostic Habitant, centré sur les quartiers voisins, est fondamental. D’autant plus que si nous avons appelé le projet ZIP, c’est parce qu’il a la prétention de relier le futur quartier à l’existant et d’en faire une pièce d’un quartier plus large. Toute la structure urbaine du nouveau quartier est dessinée à partir des rues des quartiers voisins. Et il y a aussi des enjeux urbanistiques dans ces quartiers : aménagements d’espaces publics, gestion mobilité, densification. Cette question a un lien également avec mon action politique : J’ai déposé au conseil communal (législatif de la commune) un postulat concernant la densification en 2009[iii]. J’y demandais d’étudier le potentiel de densification là où il est le plus important, c’est-à-dire bien dans les quartiers les moins denses.

OG Depuis peu, vous n’êtes plus seulement un bureau d’architecture, mais également une entreprise de promotion immobilière. Vous êtes donc à la fois client et architecte. On dirait que vous aimez les conflits d’intérêts ?
LG Justement, nous l’avons fait parce que nous pensons qu’il n’y en a aucun, et d’ailleurs, ce sont deux sociétés différentes. En réalité, lorsque l’on a une approche qui dit que les enjeux sont ailleurs que dans le domaine strict de l’architecture (que les vrais enjeux sont politiques, urbanistiques, comme la pénurie de logements par exemple), il est évident que l’on remet en cause des choix du ressort des politiques ou des maîtres d’ouvrages. Néanmoins, nous connaissons plusieurs architectes qui font de la promotion, nous ne sommes pas les seuls. C’est souvent pour se faire une carte de visite en se libérant des contraintes du maître d’ouvrage, considéré bien évidemment comme insensible et inculte ! Ce qui peut frustrer les collaborateurs de Tribu qui travaillent sur ce projet, c’est que nous sommes maîtres d’ouvrages et que nous parlons beaucoup d’économie. Nous allons être transparents sur les rendements attendus avec ce projet. Nous voulons faire la démonstration que malgré l’importance du coût du terrain, nous allons rendre ces logements accessibles au maximum de la population, en tirant vers le bas les coûts de construction. Le terrain que nous avons acheté est considéré comme mal situé. Nous allons construire dans une situation socialement difficile, sous un pont d’autoroute, entourée de barres d’immeubles, d’une ligne à haute tension, et devant une route bruyante. L’enjeu est de démontrer qu’à partir de cette parcelle, nous arriverons à faire envie à des personnes qui déclarent aujourd’hui que jamais elles n’iraient habiter dans ce trou. C’est ce que l’on veut réussir ! Raison de plus pour limiter les coûts et rendre ces logements accessibles au plus grand nombre.


OG Les promoteurs immobiliers ont une vision stratégique des territoires assez capitale car ils doivent connaître les enjeux politiques et les stratégies urbaines dans tous les domaines, afin de savoir exactement où construire et investir. Néanmoins, la rentabilité et l’économie sont leurs seuls et uniques objectifs, et non seulement des contraintes. Dans cette opération, où les intentions semblent plutôt de servir l’intérêt général que de maximiser vos marges, comment répondez-vous à ces mêmes contraintes, qui sont incontournables ?

LG Pour obtenir un crédit bancaire, nous avons dû nous présenter comme le pire promoteur, démontrer des rendements clairement abusifs, au-delà de ce que le droit du bail permet. Nous avons respecté scrupuleusement les règles que l’on a l’habitude de respecter pour les appartements subventionnés. Parce que l’on y croit ! Par exemple, nous défendons l’accessibilité aux personnes handicapées, il faut que notre projet soit compatible. Nous ne pouvons pas faire des logements de 200m2 pour un couple alors que nous intervenons régulièrement pour relever l’énorme inégalité dans la  consommation de surface de logement. Alors les logements que nous construirons seront de 60m2 pour un deux pièces, 75m2 pour un trois pièces et 95m2 pour un quatre pièces. Il faut aussi baisser les coûts de construction. En théorie, nous sommes un acteur économique censé faire du profit mais nous ferons notre démonstration sans s’enrichir sur le dos des gens. C’est l’enjeu principal. J’aime bien quand Jean Nouvel dit qu’un bon logement, c’est un grand logement. Néanmoins, je pense que ce sont des réflexions des années 80 qui participent à la pénurie de logements. Ce sont finalement des logements plus chers. Ils sont moins chers pour l’acteur économique mais il les loue au mètre carré, donc plus cher. Il ne faut pas faire 30% plus grand, mais 30% mieux.

OG Et dans ce contexte grave de crise et de pénurie du logement dans l’arc lémanique, quels sont les leviers qui permettraient d’améliorer la situation ?
LG L’enjeu principal aujourd’hui c’est le foncier, dont la rareté crée la bulle spéculative qui augmente les coûts : les milieux immobiliers n’ont jamais fait autant de profit avec si peu. Il faut donc maintenant donner aux collectivités publiques de nouveaux outils pour trouver du terrain constructible comme le droits d’emption, d’expropriation ou le prélèvement de la plus-value foncière. L’actualité est effectivement inquiétante. Une récente étude[iv] montre que l’on a aujourd’hui des réserves de zones à bâtir mais que la thésaurisation du sol est très importante. 65% des propriétaires ne souhaitent ni vendre ni construire. En tenant compte des durées de planification des grands projets en cours et sans nouveaux outils légaux, nous aurons bâti en cinq ans l’ensemble des parcelles réellement constructibles. Et dans cinq ans, le marché de la construction s’effondrera parce qu’il n’y aura plus de terrain constructible et que les collectivités publiques n’auront rien anticipé.

OG Le levier foncier est fondamental. Néanmoins, certaines initiatives ne peuvent-elles pas ouvrir des brèches, face aux phénomènes spéculatifs notamment ? Comme ce que vous proposez avec votre opération de promotion immobilière, ou le modèle très suisse des coopératives d’habitation ?
LG Une fois que l’on a un terrain, oui. Il y a une grande tradition coopérative dans ce pays, mise en place au début par les milieux ouvriers. Il y a différents types de coopératives. C’est un modèle économique alternatif qui permet de n’avoir légalement que 5% de fonds propres, ce qui est très avantageux et accessible. Les banques mettent 80% de fonds et les collectivités cautionnent les 15% restants. Il n’y a pas de bénéfices qui partent dans les poches d’un propriétaire. Il y a de multiples modèles de coopératives. Certaines petites n’ont que leurs habitants comme coopérateurs. Les grosses ont parfois des milliers de coopérateurs et finalement peu qui y habitent. Au sein de Tribu, nous sommes plusieurs à être membres de coopératives. Elles ont besoin d’adhérents pour construire. Christophe Gnaegi et moi-même sommes membres par exemple de la coopérative CODHA[v]. Ce modèle est intéressant parce qu’il favorise les aspects communautaires. C’est une expérience typiquement Tribu : Le modèle du bail associatif n’existait pas au sein des coopératives de Lausanne. Nous les avons fait venir de Genève à Lausanne. La Municipalité leur a donné un terrain, par notre intermédiaire et nous sommes les architectes du projet, récompense de nos efforts.

OG Comment avez-vous inscrit ces modèles et cette approche dans le projet Métamorphose?
LG Pour Métamorphose, c’est politiquement que s’est décidée la mixité sociale sous l’impulsion des partis de gauche. Elle a été imposée par le Conseil communal qui a demandé de prévoir. 1/3 de logements en coopératives d’habitants, 1/3 en loyer contrôlés et 1/3 en marché libre, donc avec une rentabilité plus élevée. De notre côté, nous défendons le fait qu’un opérateur privé unique devrait réaliser les trois tiers au sein d’un même îlot, afin que les coûts et les bénéfices soient répartis et que ce qui rapporte subventionne ce qui coûte.



[i] Projet Metamorphose, Lausanne, Suisse www.lausanne.ch/metamorphose http://tribuarchitecture.ch/node/29
[ii] Tribu Architecture, www.tribuarchitecture.ch
[iii] « Densifions la ville efficacement et durablement », postulat déposé par Laurent Guidetti, conseiller communal, 2009 http://tribuarchitecture.ch/node/250
[iv] « Logements Vaudois : analyse de la pénurie », IConsulting, mars 2011 
http://www.iconsultingsa.ch/FichiersCommuns/PenLogVD.pdf
[v] Coopérative de l’habitat associatif www.codha.com