PREMIÈRE PUBLICATION VOLUME #30 PRIVATIZE!
AUTEUR Oscar Gential
Cet article a été publié pour la première fois dans VOLUME #30, PRIVATIZE!, en février 2012
Toute représentation ou reproduction de cet article et des images qu’il contient faite sans l’accord de l’auteur ou de ses ayant droit est illicite (excepté au titre du droit de citation ou de la copie privée à usage familial ou personnel).
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BIMBY, un blockbuster urbain[i]
Synopsis. La France
compte aujourd’hui 19 millions de maisons individuelles pour près de 34
millions de logements[ii].
Alors que l’étalement urbain est devenu l’ennemi déclaré des urbanistes et
devient également celui des architectes, BIMBY propose un mode de fabrique de
la ville où la maison individuelle et le célèbre Backyard[iii]
interprètent les rôles principaux. En remplaçant Not par Build, il s’agit de
s’attaquer au cœur des préjugés de l’idéologie NIMBY[iv].
Ce gisement économique, politique, urbain et architectural peut déceler de
réelles opportunités. Et puisqu’il semblerait que tout le monde ait à y gagner,
pourquoi devrait-on s’en passer ?
Ouverture
« La
propriété, c’est le vol ». « La propriété, c’est la liberté ». Tout dépend du
propriétaire. Ces formules paradoxales du polémiste et anarchiste autoproclamé
du XIXème siècle, Pierre-Joseph Proudhon, résonnent avec une actualité
terrifiante. La première pourrait flotter dans l’air de Wall Street au bras
d’un indigné, et la seconde devrait être inscrite dans une autre rue, celle
d’une cité pavillonnaire quelconque.
La propriété foncière est et a toujours été le
nerf de la guerre des opérations urbaines et autres commandos immobiliers.
Alors, quoi d’autre ?
Un nouvel espoir. Au
croisement galactique du chemin de la consommation collaborative et de
l’autoroute de la planification macro territoriale, le croiseur de la rébellion
BIMBY fait irruption.
Une contre-attaque. Un
urbanisme visionnaire sans maîtrise foncière.
Le retour vers l’habitant
et ses lopins de terre qui pourraient être partagés et accueillir de nouvelles
constructions.
La force. Filière
diffuse. Processus raccourci. Construction sur-mesure. Cas par cas. Opération
de particulier à particulier.
Mais c’est une
révolte ? Non, c’est une révolution !
La brèche. Les logements
souvent inadaptés aux besoins de leurs occupants. Maisons trop grandes,
énergivores, inadéquates.
Certaines situations
permettent d’intervenir. Entre autres, divorce, vieillissement, veuvage, handicap,
endettement.
La densification urbaine
n’est pas une revendication inconditionnelle de la filière BIMBY, elle en fait
partie de façon inhérente. Construire sans étalement, voici plutôt sa ligne de
conduite.
Acteurs
BIMBY ne rassemble aucun
acteur privé. Le premier casting, celui qui lui a permis d’être sélectionné par
l’appel à projet Villes Durables 2009 lancé par l’Agence Nationale de la
Recherche (ANR), rassemble milieu universitaire (laboratoires et écoles
d’architecture), collectivités publiques (Saint-Quentin-en-Yvelines CASQY,
Rouen-CREA, CAUE de l’Eure) et bureaux d’étude publics (CETE Normandie, CETE
Île-de-France). Aucun constructeur, promoteur ou lotisseur à l’horizon. En
effet, en plaçant la maison individuelle comme une des clés de voûte du
développement urbain, BIMBY donnent les pleins pouvoirs aux constructeurs, mais
assèche les lotisseurs, leurs mères nourricières. Les lobbyistes préfèrent
leurs alliances, tout en soutenant poliment le projet. Le petit BIMBY peut
grandir sans eux.
Au cours du projet, qui
durera trois ans, les protagonistes affluent. D’autres acteurs publics, des
communes, des agences d’urbanisme. En somme, des acteurs à orientations
opérationnelles, des pionniers qui s’emparent de ce projet encore expérimental.
Ruée vers l’or. Comment
ne pas comprendre ces villes, ces élus, ces responsables publics qui tentent en
vain de contrer les assauts de l’étalement urbain, cette gangrène dénoncée,
depuis de nombreux mandats. Ils ont besoin de nouvelles armes, non violentes
cette fois-ci, à la fois politiquement légitimes et techniquement opérationnelles.
Ces partenaires
expérimentaux se sont appropriés la filière BIMBY, la font évoluer par le
dialogue, le partage de connaissances, la mise en pratique. Un work in progress déjà opérationnel.
Scenario
À l’image d’une maison de
lotissement, la filière BIMBY est en réalité assez banale. Il ne s’agit que de
division de terrains, par exemple le million de terrains de plus de 1000m2
occupés en France par une seule maison, selon l’UMF[v].
Mais cette banalité fait office de révolution, portant le gène de l’innovation,
et non celui de l’utopie.
C’est dans la mise en
scène que tout se joue. L’approche doit être élargie, l’argumentaire à
plusieurs facettes. Il faut tout d’abord convaincre les élus qu’il est possible
de poser les premières pierres de ce mode d’urbanisme diffus et constitué
d’initiatives individuelles. L’évolution de certains règlements permettra
d’accepter plus facilement une division parcellaire, donc de susciter mais
également de maîtriser cette fabrique de la ville, finalement plus contrôlable
qu’il n’y paraît.
Encore une fois, il faut
attendre le moment propice. C’est donc lorsque les communes révisent leur PLU à
14 articles, la clé de tout, qu’il faut intervenir. Un PLU version BIMBY ne
comporte pas moins d’articles que l’ancien. Surtout pas, ils sont simplement
revisités. Au moment crucial où une commune revoit sa stratégie en matière
d’urbanisme, il s’agit de l’affiner dans une nouvelle perspective, d’ouvrir des
droits à la construction, d’adapter les paramètres qui permettront de produire
de nouvelles formes et non de figer celles qui existent déjà.
L’acte décisif. Dans ce
décor stratégique d’un genre nouveau, chaque habitant propriétaire qui le
souhaite est reçu par un architecte. L’entrevue dure une heure. Un
ordinateur posé sur la table, les participants découvrent leur parcelle sur
l’écran. La terre vue par Google comme douce entrée en matière. L’architecte
médiateur donne forme en trois dimensions à l’actuelle habitation. Les uns
exposent leur situation personnelle et familiale, leurs besoins, et l’autre
expose les bienfaits économiques d’une éventuelle division parcellaire. La
confiance s’installe. Des idées émergent. L’architecte les valorise, les
corrige, les renforce. Tout s’emballe. Construire une seconde maison s’envisage.
L’architecte conseille. Orientation. Stationnements. Vis-à-vis. Des formes
adaptées, intelligentes, s’insèrent dans le modèle. Idées des habitants.
Conseils de l’architecte.
La mise en place de ce
processus dans plusieurs communes montre déjà sa pertinence. Un quart de la
population a été reçu. Plus d’une personne sur cinq souhaitent réaliser ce type
d’opération. Pour chacune, une seule heure aura suffit.
Production
Argent. Qui n’a pas
besoin de 100 000€ dans une période de crise, de récession économique ?
Vendre une partie de son
terrain rapporte, et construire dessus encore plus. L’architecture devient
alors créatrice de richesse pour ceux qui en avaient peur. Autre avantage, plus
l’opération immobilière est de petite taille, plus la filière est courte. Le
nombre d’acteurs diminue et certains frais sont alors réduits ou complètement
évités.
Les solutions
morphologiquement adaptées à la filière BIMBY ne peuvent être trouvées dans les
catalogues des grands constructeurs. Le sur-mesure s’impose dans la plupart des
cas, à cause de contraintes exacerbées. L’adaptation au cas par cas ne rentre
pas dans leur modèle économique, tous les coûts sont minimisés. Ce sont donc
les petites entreprises de construction qui sont mises au premier plan. Leurs
coûts parfois légèrement plus élevés sont compensés par leur capacité à
produire un bâti sur-mesure, et de meilleure qualité.
Hormis des intérêts
locaux engendrés par ces mécanismes, un changement de cadrage s’impose. La
France compte aujourd’hui 19 millions de maisons individuelles, et environ 160
000 nouvelles sont implantées chaque année. Si seulement un petit pourcent de
ces propriétaires décidaient de diviser leur terrain pour permettre
d’accueillir une nouvelle construction, alors ces nouvelles maisons
n’engendreraient plus aucun étalement urbain. Angoisse des lotisseurs, dont
c’est le fond de commerce. L’offre que pourrait générer ce 1% peut même aller
jusqu’à dépasser la demande. L’enjeu est de taille, la micro et la
macro-économie, l’opération architecturale et la planification territoriale se
croisent, se collisionnent, se complémentent.
C’est un nouvel état
d’équilibre qu’est capable de générer la filière BIMBY à grande échelle. Et les
raisons sont bonnes de croire en une généralisation du phénomène.
Diffusion
La diffusion de masse
doit devenir porteuse de la contagion du virus BIMBY. La forte fréquentation du
site internet montre déjà les premiers symptômes de cette pandémie tant
espérée. Les premiers commencent à se former à travers les documents et les
articles disponibles en ligne. L’incubation d’un seul pourcent de particuliers
et de professionnels serait suffisante, et elle a certainement déjà commencée.
À l’instar d’eBay,
d’Airbnb, de Zipcar ou plus généralement de la consommation collaborative où le
partage de ressources prime, le salut de BIMBY passera par la crédibilité et la
confiance. Cette confiance nécessite un support d’expression. À travers BIMBY+,
la plateforme numérique d’échange entre ceux qui participent à la démarche,
ceux qui le souhaitent, et ceux qui y réfléchissent, les initiateurs de BIMBY
mise sur l’appropriation collective. Pourvu que ce qu’ils ont initié leur
échappe.
Aucune starchitecte,
aucun peopolitique à la tête de BIMBY+. Ce réseau de partage urbanistique n’a
pas un visage, il doit en avoir des milliers.
À l’aube d’une
accessibilité universelle méritée aux données et à la connaissance, BIMBY+ se
doit de montrer l’exemple dans une discipline où l’OpenSource serait une
avant-première. La diffusion d’une culture de l’architecture doit
malheureusement trop souvent avoir un prix. Alors que les architectes n’apprécient
pas toujours les émissions TV qui vulgarisent leur noble discipline, BIMBY rêve
d’en être un acteur principal.
Coulisses, l’envers du décor
Une partie infime des maisons individuelles sont aujourd’hui
dessinées par des architectes. Ne rêvant que trop de construire à nouveau la
villa de M. Savoye ou celle de Mme Dall’Ava, ils se passionnent à ignorer celle
de M. Personne. La lutte désormais quasi consensuelle contre l’étalement
urbain, ce mal absolu, est-elle le puissant prétexte qui fait oublier la maison
individuelle, aujourd’hui encore habitat de la majorité des français, soit 57%[vi].
Pas vraiment. La maison individuelle n’offre pas le même gisement économique
aux architectes qu’aux habitants. Les efforts sont considérables et la
récompense parfois maigre. La stimulation que provoque la conception
architecturale est bien présente, pas toujours les bénéfices. Et il est facile
d’éviter le recours à un architecte. On peut même se payer un château bourguignon
ou palais parisien de 169m2 sans divarchitecte[vii],
ce qui explique également leur faible présence sur le marché du pavillon. On
peut se passer d’eux. BIMBY doit abattre les bonnes cartes qui permettront de
réconcilier l’architecte et le particulier, un vrai coup de poker.
D’autres freins apparaissent. La majorité des propriétaires
voient de façon erronée la division comme une dévalorisation inévitable de leur
bien. Autre complication, les règlements qui n’autorisent actuellement en
France la division que d’un seul terrain sur cinq. Néanmoins, BIMBY y apporte
des réponses, en révélant une légitimité et un gisement à la fois politiques,
économiques, urbains et architecturaux.
Les architectes auront-ils le droit de s’intéresser à nouveau
aux maisons de banlieue qu’ils sont dans l’obligation de dénigrer pour la
plupart ? Seront-ils autorisés à chérir la maison individuelle comme elle
les a tant aimés ?
Générique
« Si ceci est l’enfer, pourquoi est-ce aussi populaire ?»[viii] Ce qui marche à propos
de Los Angeles, « La ville que les
intellectuels américains aiment à détester» selon Mike Davis, pourrait
marcher pour la maison individuelle. Le lien est moins anodin qu’il en a l’air.
Los Angeles est à la fois le temple de la maison individuelle et le paradis du
NIMBYisme. BIMBY parie sur une lettre, synonyme discret d’une petite
révolution.
Grand Paris, Lille Métropole 2030, ainsi de
suite. Les territoires français veulent prédire dés aujourd’hui leur lendemains
incertains. Les projets territoriaux et prospectifs deviennent monnaie
courante. Métropoles et agglomérations cherchent à réinventer leur modèle de
développement urbain. Le logement y joue un rôle central, 70 000 à réaliser par
an dans le Grand Paris, 50 000 nouveaux logements à Bordeaux dont l’étalement
bat des records. Les ambitions sont considérables. Voir ici BIMBY comme un
projet ou un modèle serait sans issue. BIMBY n’est qu’une pièce d’un vaste
échiquier, comme le disent d’ailleurs ses initiateurs. BIMBY est déjà là et
doit jouer son rôle d’espoir alternatif dans les temps stratégiques que nous
connaissons. Au cœur de cette crise économique et sociale frénétique, la
faiblesse des grands peut être compensée par l’opportunisme des petits. Si la
maison particulière, elle qui porte les stigmates d’un individualisme à
l’américaine, a permis de libérer les libertés individuelles, peut-elle
également jouer un rôle vers une liberté collective, un intérêt général enfin
retrouvé ? Alors, build or not in my backyard ?
[i]
La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à l’implication de
David Miet, une des pilotes du projet BIMBY, qui a accepté une entrevue
[ii]
INSEE, Répartition des logements en 2011, France www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATFPS05201
[iii]
Acronyme de « Build In My BackYard » www.bimby.fr
[iv]
Acronyme de « Not In My BackYard », utilisé pour désigner une
personne ou une attitude s’opposant à tout ce qui pourrait impacter
l’environnement proche d’une communauté
[v]
Union des Maisons Françaises www.uniondesmaisonsfrancaises.org
[vi]
voir note 2
[vii]
En France, le recours à un architecte est obligatoire dès lors qu’un projet
porte la surface hors œuvre nette d’un bâtiment à plus de 170m2
[viii]
« If this is hell, why it is so popular ? » Bryce Nelson, New
York Times, 3 mars 1991. Titre de sa critique du livre de Mike Davis, City of
Quartz, Los Angeles, capitale du futur, 1990 http://www.nytimes.com/1991/03/03/books/if-this-is-hell-why-is-it-so-popular.html?pagewanted=all&src=pm