2012 JAN - LA MAISON INDIVIDUELLE MADE IN US

PROJECT  LA MAISON INDIVIDUELLE MADE IN US
LOCATION  USA
CONTEXT  Scolarship Delano-Aldrich, Académie Française d'Architecture
STATUS  Call for projects / unselected
TEAM  Oscar Gential
DATE  January 2012




Home sweet home. Bien à l’ombre des gratte-ciels scintillants de Manhattan, la maison individuelle est elle aussi une pièce déterminante de l’urbanisme outre atlantique. Moins étourdissante, plus invisible que ses cousins géants de verre et d’acier, sa banalité cache les enjeux urbains, architecturaux, économiques, sociaux, culturels et politiques qu’elle recèle. L’étude de la maison individuelle américaine n’est qu’un prisme pour analyser et comprendre plus largement l’urbanisation américaine, le fonctionnement de la société, les phénomènes urbains qui lui sont liés - l’étalement urbain, la suburbia, sont en première ligne. La maison individuelle cristallise autant les utopies urbaines, les idéologies, que les crises sociales et économiques.


DENSITÉ & INTENSITÉ
LEARNING FROM THE SUBURB
La multiplication de la single family unit, issue d’un rêve américain à l’individualisme exacerbé mais aussi de l’avènement de l’automobile, a généré une expansion fulgurante des villes américaines sous la forme d’un étalement urbain sans précédent. À la fois dans les banlieues des grandes métropoles – les suburbs – mais également dans les espaces ruraux, la densité créée est à comprendre, analyser et critiquer sous différents angles.
Au début du XXème siècle, le développement en série de l’automobile et l’aménagement colossal de l’ensemble des infrastructures inhérentes à ce développement – parkways puis highways notamment, jouent des rôles déterminants dans l’étendu de la ville américaine. La voiture a permis cet étalement, l’a même contraint. Le dessin de la suburbia suit les traces de l’automobile elle-même, elle en est à la fois l’instigatrice et la finalité. 

La répartition et l’implantation des programmes urbains suivent ce même dictat de l’automobile. Les centres commerciaux – ou shopping mall – sont situés pour l’automobiliste consommateur, les équipements et les services publics et privés sont également implantés pour répondre aux besoins de la mobilité individuelle. La preuve en est la quantité d’espace consommée par les parkings, les voies secondaires, etc.
La densité et l’intensité urbaine de la suburbia, cette ville diffuse mais continue, à l’heure où les urbanistes et les architectes prônent la densification plutôt que l’étalement, doivent être interrogées. Alors que les NIMBY (note) ont défendu et défendent toujours leur quartier contre une invasion immobilière potentielle, une densification ou plus simplement n’importe quel changement, l’initiative BIMBY – cette fois-ci française – fait le pari inverse. Ce projet vise à densifier les tissus pavillonnaires de l’hexagone par des divisions parcellaires initiées par les habitants eux-mêmes. Une approche véritablement bottom-up. Qu’en est-il outre atlantique ? Existe-t-il des initiatives, qu’elles soient publiques et politiques, mais également privées et individuelles, qui prônent une intensification de la suburb américaine ?


L'ARCHITECTE ET LA MAISON INDIVIDUELLE
DE L'UTOPIE À LA BANALITÉ
Les évolutions techniques du début du XXème siècle ont initié, porté, libéré les idéaux des architectes modernistes. L’ascenseur leur a permis de multiplier sans fin les étages, de se rapprocher du ciel. Et pourtant, l’un des principaux terrains d’expérimentation, d’application de doctrines architecturales inédites a été la maison individuelle.
Tout comme Le Corbusier qui démontra les cinq points d’une architecture nouvelle à travers la villa de Poissy, les architectes de la modernité américaine ont également fait leurs armes sur des private housing units. Notamment, la légendaire Fallingwater House est un emblème de la pensée architecturale de Frank Lloyd Wright, tout comme d’autres de ses maisons. Le Case Study House Program et les 36 maisons qui furent construites de 1945 et 1966 à Los Angeles, attestent du besoin de réinvention de l’architecture et des usages à partir de la maison individuelle, son unité de base. Louis I. Kahn, Richard Meier, Peter Eisenman et bien d’autres continueront à faire de la maison individuelle leur laboratoire, leur espace de réflexion et de construction idéologique.
Néanmoins, ces icônes architecturales sont souvent orphelines. On ne retrouve pas la maison sur la cascade au bord de tous les ruisseaux, ni la Fisher House à chaque coin de rue, et encore moins une House numérotée de chiffre romains. Ces légendes, de fait, restent rares. Plus largement, l’architecte n’est responsable que d’une faible part de la conception de maisons individuelles. En France par exemple, seules 5% d’entre elles sont réalisées aujourd’hui par des agences d’architecture. Qu’en est-il alors aux États-Unis ? Les modes de construction sont bien évidemment très différents des modes européens. Comment fonctionne la filière de la construction ? Et quelle place l’architecte y occupe-t-il ? Mais, au delà de la stricte filière - au sens économique du terme - l’architecture de la maison individuelle américaine, les formes et les styles qu’elle adopte et qui la caractérisent, les matériaux et les textures qui la soutiennent et la magnifient, l’ensemble de ce qui la constitue méritent d’être autopsiés. Du ranch texan aux maisons victoriennes de San Francisco en passant par celle néocoloniale de la Nouvelle-Orléans, les particularités régionales, climatiques, culturelles ont façonné des architectures vernaculaires spécifiques. Dans le même temps, une architecture et une économie « globalisées » ont fait apparaître des maisons individuelles génériques, ressemblant parfois plus à des mobile homes qu’à des villas, caractéristiques de la suburbia, et que l’on retrouve aussi bien autour de Miami que dans la banlieue de Las Vegas ou encore à Chicago.





MODES DE VIE

RÊVES ET DÉSILLUSIONS

Des luxueuses villas de la Jolla à San Diego au parcours de golf privatisés des gated communities de Las Vegas, en passant par les bungalows de la Sun Belt et les quartiers ouvriers désertés de Detroit, les 130 millions de maisons individuelles que comptent actuellement les Etats-Unis adoptent des formes et répondent à des besoins d’une infinie diversité.
Certaines constantes traversent cet éclectisme démesuré, comme le fait que 85% des maisons individuelles américaines possèdent l’air conditionné, mais surtout que l’automobile est un incontournable de cette forme d’habitat. On peut penser de façon légitime qu’une grande majorité des 140 millions de voitures enregistrées au Etats-Unis appartiennent à des occupants de maisons individuelles, et en particulier dans les banlieues des grandes villes où sont construites plus du tiers des private houses, 52 millions précisément. Les modes de vie des habitants de la suburb, mais également de ceux occupants les vastes territoires américains, sont rythmés par leurs déplacements, et donc par la voiture, qui souvent en fait ses esclaves.
Outre ces inconditionnels de la vie in a single family unit, la maison individuelle peut s’adapter aux choix, aux envies des américains. Par exemple, sécurité et confort sont les maîtres mots pour ceux qui désirent rejoindre une résidence privée, ou gated community.
Néanmoins, la maison individuelle n’est pas toujours un choix. De nombreuses familles sont contraintes à l’exil jusqu’aux bordures extérieures de la suburb pour des raisons économiques, loin du centre-ville.
La diversité des quartiers constitués de maisons individuelles révèle les fortes inégalités sociales du pays. Qu’ils soient aisés ou miséreux, les ghettos fleurissent.
Il est donc nécessaire de se pencher en profondeur sur les modes de vie qu’induit la maison individuelle, les rêves qu’offre sa flexibilité, mais également les désillusions dues aux contraintes que son urbanité impose.

LA MOBILITÉ DANS LA SUBURB
CONQUÊTES ET RECONQUÊTES
L’impact de l’expansion de la mobilité individuelle sur les territoires américains est considérable. Le sprawl caractéristique de la suburb a été façonné par le couple formé par la voiture et la maison individuelle. Les lieux dédiés à l’automobile sont omniprésents et dominent l’espace urbain, highways et voies rapides, rues élargies et contre-allées, restaurants et cinémas drive-in, parkings colossaux et garages privés. L’automobile comme outil de conquête, avait volé la vedette aux trains ou autres tramways.
La ville peut s’agrandir, les distances se rallonger, la voiture le permet - ou plutôt l’a permis. Les urbains américains sont donc logiquement les plus grands consommateurs de transport – individuel pour une écrasante majorité – dans des agglomérations urbaines d’une très faible densité (voir courbe Newman & Kenworthy). Le rêve américain montre des signes de faiblesse, alors que les territoires qu’il a permis de conquérir portent les marques de l’aménagement dicté par l’automobile. En effet, la circulation s’intensifie, les infrastructures saturent, les temps s’allongent. Néanmoins, en 2009, un premier signe de changement de tendance est apparu. Alors que le nombre d’automobiles ne cessait d’augmenter jusqu’alors, 14 millions de personnes se sont débarrassées de leur voiture alors que 10 millions en achetaient une (source : Collaborative Consumption). Les voies réservées aux véhicules occupés par plus d’une personne se multiplient, le car-sharing prend également une ampleur nouvelle, les transports publics se présentent à nouveau comme facilitateur de mobilité et comme outils de reconquête.
Ces conquêtes et reconquêtes du territoire américain permises par la mobilité ont un impact important sur les modes de vie des habitants des suburbs, et donc des occupants de maisons individuelles. Certaines tendances fléchissent pendant que d’autres apparaissent, voilà pourquoi nous le sujet de la mobilité et ses enjeux dans les territoires américains sont à inclure et à mettre en perspective d’une réflexion élargie autour de la maison individuelle américaine.


L'ÉCONOMIE DE LA MAISON INDIVIDUELLE
DU MARCHÉ À L'OPÉRATION
À l’heure d’une récession économique généralisée – dont un des points de propagation fut les subprimes, eux-mêmes liés à la maison individuelle, l’étude et la représentation des enjeux financiers deviennent un devoir. Dans le cas de la maison individuelle, différents niveaux sont à considérer. En 2010, 496 000 nouvelles maisons ont été construites, contre 819 000 en 2008 et 1,65 millions en 2006 (src : Us Census). La chute est spectaculaire. Certains territoires semblent concentrer plus fortement la construction de single family units que d’autres, comme le sud du pays où 258 000 maisons ont été construites en 2010, soit plus de la moitié de celles du pays. Une étude approfondie à l’échelle nationale permettrait donc de mettre en lumière les enjeux économiques qui entourent la maison individuelle américaine. Quels sont les rapports de force entre pouvoirs publiques et promoteurs privés, entre lobbies activistes et citoyens habitants ? Si, à une proche époque, tout le monde gagnait à étendre la ville, à remplir les territoires de la suburb, en est-il toujours de même aujourd’hui. Pas certain. En effet, la fuite en avant de l’extension urbaine a révélé de lourdes conséquences économiques, à la fois pour les pouvoirs publics qui doivent répondre aux besoins d’une population de plus en plus éloignée et nombreuse, mais également pour les habitants qui voient notamment leurs coûts de déplacements explosés (image maison dollar). La récente crise des subprimes cristallise une partie de ces conséquences, démontrant les faiblesses d’un modèle économique basé sur l’emprunt, au détriment des habitants et au bénéfice des promoteurs et des agents immobiliers. L’échelle macro-économique ne révèle qu’une facette de cette problématique. On peut également voir cette économie à travers des échantillons, de la construction d’une maison à l’opération immobilière d’un quartier pavillonnaire. Quels sont alors les mécanismes financiers et opérationnels en jeu ? Quel est le coût d’une maison individuelle, le prix du terrain ? Comment peut-on financer son accession à la propriété ? On peut se demander également si de nouvelles formes apparaissent, faisant à la crise économique actuelle, comme de l’autoconstruction, des résurgences communautaires, etc. C’est dans son ensemble que cette question doit être traitée, c’est-à-dire en reliant les phénomènes globaux et les enjeux économiques resserrés sur un contexte, une situation.

PAYSAGE URBAIN

DU GÉNÉRIQUE AU TERRITOIRE
Voirie, frontgarden, backyard, garage, allée, contre-allée, pelouse, etc., le schéma se répète dans tous les quartiers pavillonnaires américains. Autant de codes urbains qui, une fois démultipliés, ont un impact sur les territoires.
Pour comprendre ce paysage urbain que génère la maison individuelle, qui est souvent caractéristique de la suburbia, la multiplication des points de vue est à privilégier.
En effet, l’impact sur les territoires peut être mesurés à différentes échelles. Les opérations de développement immobilier, sous la forme encore modeste de lotissements ou celle plus agressive de gated communities, permettent de conquérir les espaces naturels, même les moins propices, déserts, montagnes, etc. L’urbanisme américain, plus globalement, a toujours été une lutte radicale contre les éléments et les situations naturels, Los Angeles et Las Vegas en sont les preuves. Cette suburbia, tel un liquide urbain difforme et dilatable, se glisse dans les interstices, inonde de nouveaux territoires, les aplanit.
À l’échelle du quartier, de la zone pavillonnaire, de la gated community, du ghetto, la maison individuelle impose son style, ses formes, son organisation. Le garage et l’allée qui y mène tiennent une place prédominante de la façade, masquant quasiment l’entrée – le conducteur s’impose au piéton. On peut déjà imaginer un ordonnancement assez strict des éléments entre eux, les différences de statut, etc. Du drapeau américain flottant à la pelouse fournie, au trois marches menant au perron et au toit à pente douce, un ensemble de clichés ou symboles révélés notamment par les productions hollywoodiennes – garante de la diffusion de la culture américaine - produit ce paysage urbain d’un genre spécifique.
La maison individuelle et le sprawl urbain de la suburb américaine, outre les autres thématiques déjà abordées, devraient donc également être appréhendés comme fabricateurs de paysage, mêlant un imaginaire urbain à une réalité parfois très brutale, du générique au territoire.


CONCLUSION
Pourquoi s’intéresser à la maison individuelle américaine en 2011 alors que des logiques autant écologiques que sociales ou économiques démontrent certaines limites de ce modèle architectural et urbain – la suburb ? C’est justement parce qu’elle cristallise tout un ensemble de fondements et de phénomènes inhérents à la société américaine, allant de la liberté individuelle jusqu’à la crise économique, ou des questions environnementales jusqu’aux politiques urbaines. L’étude de la maison individuelle made in US permet de se frayer une percée afin de comprendre plus généralement la vie publique américaine, et sa réinvention contemporaine.
Ce voyage, guidé par la single family unit, nous fera traverser contextes et territoires par des chemins détournés. En effet, le territoire entier des Etats-Unis devient contexte d’étude, avec des sites privilégiés, ceux qui mettent le plus en exergue certains aspects, certaines caractéristiques de cet objet d’architecture et tout ce qu’il entraine avec lui, de l’utopie à la réalité quotidienne.
De plus, le contexte inquiétant dû à la crise sociale et économique a installé la maison individuelle sur le devant de la scène, notamment par la crise des subprimes. C’est donc également un moyen de revenir à la source d’un problème sans équivalence, et pouvoir l’analyser avec recul.
La maison individuelle emporte tellement de questions qu’elle peut donner le vertige. Les thèmes esquissés précédemment sont des portes ouvrant sur de possibles futurs champs d’investigation. Néanmoins, cette première approche doit être révisée grâce à des allers et retours permanents entre rencontres, interviews, lectures, théories, utopies, réalités, visites, voyages, etc. Une méthodologie volontairement floue pour des questionnements nécessairement expansifs. S’intéresser à la fabrique de ville américaine sous l’angle de la maison individuelle devient une chance réelle d’invoquer acteurs et territoires variés, contextes et pratiques divers.
La maison individuelle, à travers son implacable banalité, nous fera voyager jusqu’au cœur de la culture made in US.


© OSCAREVIEW Oscar Gential (Toutes les images)